Mariage

Le mariage chrétien est un des sept sacrements de la vie chrétienne. Fondé sur l’amour et la foi, il engage les époux dans un don de soi réciproque qui englobe toutes les dimensions de leurs personnes. C’est un lien libre, irrévocable, tourné vers la vie, signe de l’amour de Dieu pour les hommes.


Pourquoi faire une préparation au mariage ?

L'Église demande aux couples qui veulent se marier de s'y préparer de longs mois à l'avance, en de nombreuses rencontres durant lesquelles on échange sur sa vision de la vie de couple, sur sa foi et sur le sens que l'on donne à cette union. Cette préparation n'était pas obligatoire il y a quelques années, alors pourquoi l'exiger aujourd'hui ?

P. M. : Une première raison, assez évidente, est la fragilisation du mariage. C'est aussi pour faire le lien entre le mariage religieux et le mariage tout court. L'enjeu est de donner un sens religieux et spirituel à un engagement humain. Enfin, pour moi, il s'agit de permettre à un futur jeune foyer de retrouver un sens à sa vie en paroisse et dans l'Église, parce que certains en sont bien loin. C'est pour nous l'occasion de rafraîchir les mémoires, de dépoussiérer les choses.

On dit parfois qu'une préparation au mariage, c'est retourner au catéchisme. C'est vrai ?

P. M. : Pour certains, c'est retourner au caté, mais pour d'autres, c'est découvrir le caté, car dans de nombreux mariages, l'un des deux n'est pas baptisé ou pas croyant. L'intérêt, c'est de faire le lien entre le baptême qu'ils ont reçu et ont plus ou moins alimenté et leur engagement d'adultes. Leur mariage, c'est un peu l'arrivée à l'âge adulte de leur baptême. Ils n'ont souvent pas demandé à être baptisés, et le mariage donne un sens à leur baptême. Faire le lien entre leur petite enfance et leur vie d'adultes qu'ils veulent unique, c'est le lien de préparation au mariage.

Comment faites-vous avec ceux, il y en a certainement beaucoup, qui viennent demander le mariage à l'église alors qu'ils vivent ensemble depuis longtemps, et ont même parfois des enfants ?

P. M. : L'un des enjeux de la préparation, c'est de partir du réel, et non d'une vision idéaliste ou myope que nous aurions du mariage. J'amène ces couples à réfléchir au sens qu'ils donnent au mariage religieux, et à quelle transformation cela va les amener. S'ils n'envisagent aucun changement entre l'avant et l'après mariage, ce qu'ils remettront le plus facilement en cause, c'est le sens de leur mariage.

Parce que le mariage doit provoquer un changement ?

P. M. : Il doit y avoir plusieurs changements. Pour moi il y en a trois. Le premier, c'est le fait de s'engager publiquement, c'est-à-dire de déprivatiser une relation homme-femme. Et de le faire devant des témoins qui sont les personnes qui comptent le plus pour le couple : les parents, les amis et Dieu. Cela montre le lien entre l'engagement devant les hommes et l'engagement devant Dieu. L'échange des consentements ne se fait pas à n'importe quel moment : il vient après la parole de Dieu qui éclaire l'engagement. La parole de l'homme et de la femme vient après la parole de Dieu. Elle est ainsi sponsorisée, labellisée, sanctifiée par une parole de Dieu. C'est très différent de vivre ensemble après s'être dit une telle parole, devant Dieu et devant témoins. La première transformation, c'est donc la parole donnée.

La deuxième transformation que peut opérer la préparation au mariage, c'est le sens de la sexualité. Ceux qui vivent ensemble ont déjà une vie sexuelle régulière. Que va apporter le mariage ? Quand il n'y a pas eu d'enfants, c'est la fécondité. S'ouvrir à la fécondité, c'est donner une troisième dimension à la sexualité, la première étant une fonction relationnelle, la seconde une fonction de plaisir hédonique. Quand on mis la troisième dimension sous le boisseau avant le mariage, on n'a pas encore appris à se donner complètement l'un à l'autre. Il faut aider ces couples à mûrir leur sens de la sexualité. Et puis il va falloir qu'ils apprennent à vivre une sexualité sur le long terme, ce qui n'est pas du tout la même chose qu'avoir une relation avec une petite amie. Il faut apprendre à vivre sa sexualité comme un langage de communication. C'était déjà le cas avant, mais ça ne l'est plus quand on décide de vivre une relation exclusive.

De tout cela, les couples parlent facilement ?

P. M. : Oui, à condition que l'on n'en fasse pas une question de morale, mais une question de sens.

Et le troisième changement ?

P. M. : C'est la place de Jésus dans leur vie. Ils ont chacun sa relation avec lui, il faut qu'ils apprennent à en construire une ensemble. Pour certains, c'est une vie spirituelle, pour d'autres c'est une vie religieuse, qui implique ou pourrait impliquer une vie sacramentelle. Pour d'autres encore, quand il s'agit d'un mariage avec une personne juive ou musulmane, c'est apprendre à vivre avec la différence spirituelle.

Avec tout cela, on comprend que la préparation dure longtemps ! Cela se passe en combien de réunions ?

P. M. : Chaque paroisse s'organise comme elle peut. Dans la mienne, nous commençons par trois rencontres avec plusieurs couples, en groupe. Ensuite, c'est un prêtre, un diacre ou un couple qui poursuit la préparation sur trois, quatre ou cinq séances avec chaque couple. Ensuite, on passe le relais au prêtre qui célébrera le mariage.

Cela vous apporte de la joie ?

P. M. : C'est plus que de la joie. Permettre à ces couples de mettre des mots sur ce qu'ils vivent, de se comprendre l'un l'autre, c'est plus que joyeux, parce que c'est constructif.

Vous constatez des progrès chez les couples qui suivent ces préparations ?

P. M. : Je les vois faire un chemin, qui n'est pas forcément durable, car pour eux, le somment de leur vie spirituelle, c'est le jour de leur mariage. Après, à nous de nous demander quelle suite on peut leur proposer. Certains ne sont pas confirmés, et on leur propose, trois ou six mois après le mariage, une préparation à la confirmation. Dans certains lieux existent des mouvements ou des groupes de foyers. A d'autres on peut proposer le catéchuménat. Mais le suivi de tous ces couples n'est pas toujours assuré.


Pourquoi se marier à l'église ?

Pourquoi donc Denis et Nathalie (Essonne), qui vivaient ensemble depuis deux ans, ont-ils donc décidé, à 28 et 22 ans, de se marier ? "Nous avions vérifié l'amour et la solidité de notre couple, répondent-ils, alors nous pouvions prendre cet engagement de responsabilité et de maturité essentiel à la construction d'un foyer." Pierre et Anne (Paris), 24 ans, sont de ceux, rares, qui, sans cohabiter, ont éprouvé le besoin de se donner cette "immense preuve d'amour qu'est l'engagement pour la vie" et de "construire tout de suite ensemble sur des bases solides." Valentine et Vincent (Rennes), 23 et 24 ans, se sont aussi lancés dans l'aventure sans cohabitation préalable, "pour se dire oui au quotidien et avoir des témoins qui nous portent dans notre engagement".

 

Un rituel social ?

Par contre Brigitte et Eric (Strasbourg), 35 et 39 ans, ont connu dix ans de vie commune avant que n'émerge un projet commun, concrétisé par la naissance d'un enfant. "Le mariage, dit Eric, est un rituel social, un repère et une invitation au partage." On vient souvent voir monsieur le curé en dernier ressort, quand tout a déjà été prévu. Parfois, uniquement pour faire plaisir aux parents ou à celui des deux qui est croyant.

Même si les futurs époux ont été baptisés et ont fait leur première communion, nombreux sont ceux qui n'ont pas mis les pieds à l'église depuis des lustres et ont tout oublié. Brigitte et Eric l'avouent : leur mariage à l'église n'avait pour eux aucun sens. Pourtant, si l'on en croit les prêtres et les couples qui préparent les jeunes au mariage, même si ceux-ci n'ont pas les mots pour le dire, ils ressentent pour la plupart la valeur du mariage religieux : "Si on ne passait pas à l'église, on n'aurait pas l'impression d'être mariés." Ou encore : "La mairie c'est un contrat que l'on peut rompre, l'église c'est un engagement plus solennel." La solennité de l'église fait écho au besoin de transcendance et de sacré tapi en tout homme. Ils ont le sentiment que Dieu protégera leur amour.

 

"L'engagement est plus fort"

Plusieurs couples expriment bien cette attente : "Le mariage à l'église est sacré et la notion d'amour éternel est renforcée", considèrent Denis et Nathalie. "Devant Dieu, l'engagement est plus fort, et nous ne pouvons plus le remettre en cause. Nous avons besoin de Dieu pour tenir un tel pari. Nous nous aimons aujourd'hui, mais demain ? Nous comptons sur Dieu pour nous aider", expliquent avec conviction Pierre et Anne.

Un couple qui anime la préparation au mariage dans les Hauts-de-Seine a vu arriver un jour "un coiffeur de 29 ans au look pas possible", déclarant tout de go : "Je veux que ma copine et ma fille portent mon nom et qu'on soit reconnus et pris au sérieux. Et cela, il n'y a que l'Eglise qui puisse le faire."

Chez Hubert et Solène (La Rochelle), 31 et 24 ans, la foi est plus assurée, et il y a une évidence : "Puisque le Seigneur est l'auteur de notre bonheur, il doit en être le témoin privilégié." Mais rares sont ceux qui, comme Valentine et Vincent, voient dans le mariage à l'église une appartenance "à une communauté vivante qui partage des valeurs communes".

 

Une préparation bienvenue

L'annonce d'une préparation à suivre avant le mariage religieux n'est pas toujours bien accueillie et provoque de multiples remarques : "On sait tout", "On n'a pas le temps", "C'est obligatoire ?" Cependant, le bilan est rarement négatif. Les couples découvrent pendant la préparation un autre visage de l'Eglise, qui, loin de les juger, les accueille tels qu'ils sont, les écoute avec respect, et leur donne l'occasion d'exprimer des choses essentielles que parfois ils ne s'étaient jamais dites.

Ils apprécient également, quand la préparation se fait en groupe, le témoignage des autres. Dans le meilleur des cas, ils découvrent que l'Eglise ce ne sont pas que "les curés", mais tout un peuple, vivant.

Au départ, témoignent Catherine et Christophe (Essonne), 25 et 29 ans, "nous avions décidé de nous marier à l'église pour faire plaisir à nos familles. En réalité, la préparation et la cérémonie nous ont permis de prendre concience de l'engagement que nous prenions et de donner un sens important à notre union." 


Pourquoi le mariage est-il indissoluble ?

Le projet de fonder, par le mariage, un couple indissoluble rencontre, aujourdʼhui, beaucoup de scepticisme. Il est parfois difficile de parler de lʼindissolubilité dans des sermons de mariage, lorsque le prédicateur est assuré que son assistance comprend des personnes divorcées, des couples désunis, des enfants de divorcés. Ces situations sont si fréquentes dans notre entourage et plus encore dans les histoires racontées par la télévision et le cinéma quʼelles tendent à devenir, en quelque sorte, la normalité sociale, alors que lʼunion indéfectible représente lʼexception. Lʼindissolubilité devient à la limite anormale !

Dans ces conditions, le commandement évangélique : « Que lʼhomme ne sépare pas ce que Dieu a uni » (Matthieu 19,6 ; Marc 10,9) risque dʼapparaître comme un idéal inaccessible. Surtout aujourdʼhui où lʼon attend du couple quʼil assure plaisir et épanouissement personnel à chacun des deux partenaires. La loi dʼindissolubilité peut-elle être raisonnablement maintenue et reçue ?

Dans un article ancien que vient de reprendre la revue Études, le Père Louis Beirnaert, jésuite et psychanalyste,  propose des réflexions sur lʼindissolubilité du couple, sur sa garantie et son fondement (1). Je me propose ici de relire, pas à pas, ce texte difficile et dense, mais fondamental. Jʼavancerai ensuite quelques idées personnelles sur ce même thème de lʼindissolubilité.

Le point de départ de la réflexion du P. Beirnaert est le caractère radical de lʼinterdit, qui signale la présence dʼun enjeu vital. « Dans les situations les plus dramatiques de la vie, dit-il, le “non” jaillit avant même que lʼon sache pourquoi ». Et « il y a plus dans ce “non” que dans les raisons que lʼon donne pour le justifier ». Telle est la conviction qui le conduit à examiner – et à critiquer – les discours habituellement tenus pour fonder lʼindissolubilité : ceux qui sʼappuient sur la nature même de lʼamour, et ceux qui invoquent la parole donnée dans lʼinstitution du mariage.

 

La nature de lʼamour

La première raison, et la plus fréquemment avancée, est que lʼindissolubilité est un voeu essentiel de lʼamour. On ne cesse de le redire : amour rime avec toujours. Deux êtres qui sʼaiment et qui veulent sʼunir ne parlent jamais dʼun essai, dʼune tentative, dʼune expérience pour voir... Ils disent vouloir sʼengager dans une union durable, ils veulent sʼunir pour la vie.

Oui, mais... Le P. Beirnaert interroge cet amour qui est à lʼorigine du couple. Il note, avec bien dʼautres, la nature narcissique de lʼamour. Aimer, cʼest désirer être aimé par lʼautre. Cʼest désirer être reconnu comme désirable, comme « aimable ». Deux êtres qui sʼaiment éprouvent ce désir lʼun par rapport à lʼautre. Leur voeu et leur désir est que cela dure toujours, bien sûr. Mais ce quʼils veulent voir durer, cʼest précisément cet amour nar­cissique. « Ce qui est durable, indestructible dans lʼamour, cʼest le désir dʼêtre aimé. »

Or la différence sexuelle interdit la satisfaction du désir narcissique de se regarder en lʼautre comme dans un miroir : lʼautre est irrémédiablement autre. Il est alors inévitable que naisse insidieusement le sentiment que le désir dʼêtre aimé nʼest pas satisfait, et que surgisse le reproche : « Tu ne mʼaimes pas comme je le désire. »

Lorsque lʼhomme et la femme disent vouloir sʼaimer pour toujours, le P. Beirnaert traduit : « Je désire être aimé, et je ne cesserai pas de désirer être aimé. Par toi, certes, tant que je trouverai en toi lʼobjet après lequel je cours. Mais si tu cesses de mʼaimer en ne satisfaisant plus mon désir, je cherche ailleurs. » Il y a dans le mariage une sorte de piège et de leurre : lʼhomme et la femme croient que lʼamour qui est à lʼorigine et au fondement de leur couple pourrait ne jamais être détruit, alors que ce qui est indestructible, cʼest leur désir dʼêtre aimés. Et cet amour-là ouvre sur la déception. « Cʼest alors quʼon trompe. Parce quʼon sʼest trom­pé. » On sʼest trompé, car cet amour-là, le désir narcissique dʼêtre aimé toujours, est, selon le mot de Claudel, « la promesse qui ne peut être tenue ».

 

Lʼinstitution du mariage

Ne pourrait-on alors trouver dans les paroles échangées devant un tiers, la société, un fondement plus solide pour lʼindissolubilité du couple ? La société, dont la fonction est « dʼassurer la possession, la répartition et la dévolution des biens », se doit de « mettre de lʼordre dans la répartition des biens sexuels, et de ce qui en provient, à savoir les enfants ». Le mariage durable et son inscription sociale mettent de lʼordre dans la vie en couple. Le mariage a ainsi été longtemps la condition posée pour vivre en couple, « une sorte de préalable social et légal » à la réalisation de lʼamour.

Mais partout les possessions assurées sont remises en question. Comme tant dʼautres institutions de la société, le mariage est contesté aujourdʼhui au nom de la spontanéité de la rencontre, de la liberté de lʼamour, de la vérité des sentiments, etc. Cette contestation est à lʼorigine de « la critique de lʼunicité du couple et de la fidélité conçue comme refus de lʼaventure. » Et il est vrai que si lʼon en reste à lʼamour narcissique, la fidélité et lʼindissolubilité ne peuvent tenir sur le seul fondement social et institutionnel. Pendant longtemps, la solution était une séparation entre le mariage, en raison de lʼintérêt porté aux biens et aux enfants, et la liaison pour lʼamour. Aujourdʼhui, le divorce règle la question des biens et des enfants et ouvre la possibilité de faire « ailleurs » une nouvelle tentative. Autrement dit : la parole donnée devant la société, avec son enjeu social assigné au couple, ne peuvent ni fonder ni garantir lʼindissolubilité.

Les tentatives précédentes échouent faute de prendre en compte la différence sexuelle. La conclusion apparaît clairement : pour fonder lʼindissolubilité, « il faut que ce qui est en cause tienne à la division même entre homme et femme, et se joue dans le couple comme tel, pour lʼun et pour lʼautre ».

 

Le lieu quʼon ne peut déserter

Ainsi la recherche dʼun fondement à lʼindissolubilité conduit-elle à lʼéchec : « Ni lʼamour, ni les serments, ni lʼinstitution ne garantissent la durée du couple, car ils se heurtent à la différence, au dé­faut de la satisfaction, aux mensonges et au man­­que de crédit accordé à lʼinstitution. » Cʼest précisément cette absen­ce de garanties qui peut fonder lʼindissolubilité, dit le P. Beirnaert : voilà, pour le couple, lʼenjeu impossible à esquiver.

Parler dʼune indissolubilité en lʼabsence de garanties, cʼest dire quʼelle est de lʼordre de la foi. Et la foi suppose une mutation du désir de chacun dans le couple. Elle est rupture dʼavec la recherche narcissique. Elle « prend en compte la différence, le fait que lʼautre fait défaut à la satisfaction, bref, la déchirure inéluctable qui marque la relation de lʼhomme et de la femme ». Cette mutation du désir ne peut sʼopérer si lʼun des deux partenaires ou les deux quittent la partie. Ainsi la loi de lʼindissolubilité est-elle « fondée sur la nécessité de ne pas quitter le lieu même où se joue une partie impossible à esquiver » (le soulignement est du P. Beirnaert qui indique ainsi le caractère essentiel de cette affirmation au cѕur de son propos).

Il sʼagit de rester à lʼendroit où peut se découvrir un autre visage de lʼamour, au-delà de la mort du désir narcissique. Cette attitude sans garantie relève de la foi. Elle est espérance que la vérité de lʼamour se situe au-delà de la frustration.

La partie est en effet impossible à éluder. La fuir pour aller chercher ailleurs, dans une nouvelle tentative, la satisfaction de lʼamour narcissique est vain : le désir dʼêtre aimé ne peut pas plus être satisfait dans un nouveau couple quʼau lieu même où se tient lʼépreuve de la durée. « Lʼinterdit de ne pas durer sʼarticule donc sur un interdit plus fondamental, qui porte sur la satisfaction plénière de lʼamour narcissique », conclut le psychanalyste qui voit dans la loi dʼindissolubilité lʼécho, dans la vie du couple, de lʼinterdit oedipien.

Le passage du désir dʼêtre aimé à lʼamour dans la foi ne peut se faire quʼà travers les épreuves que tous les couples connaissent dans leur histoire, jusquʼà pouvoir affirmer en vérité : « Tu es ma femme, tu es mon mari, même si tu ne réponds plus à mon désir dʼêtre aimé comme je lʼentends. » Le couple étant constitué dans lʼamour et le consentement mutuel, cette parole est présente dès son origine mais, pour quʼelle soit dite en vérité, il faut avoir fait lʼexpérience de la mort, du renoncement à « la satisfaction plénière de lʼamour narcissique ».

Le P. Beirnaert note que si le consentement, ouvert à un tel renoncement, manquait à lʼorigine du couple, « lʼépreuve de la foi ne saurait avoir lieu, parce quʼà la lettre, le couple nʼétant pas constitué comme lieu, il nʼy a pas de couple ». Dans de tels cas, « la loi dʼindissolubilité nʼa pas dʼobjet, puisque lʼenjeu quʼelle a pour fonction de maintenir nʼest pas là ». Lʼabsence de lʼenjeu ouvrirait la possibilité dʼune recherche sur la nullité du mariage.

 

De la loi à lʼespérance

Je souhaiterais ajouter, en marge de la présentation de lʼarticle de la revue Études, une réflexion personnelle issue de rencontres avec des couples et des jeunes qui se préparent au mariage. Elle part dʼune expérience très commune, je crois : lʼautre est un mystère jamais totalement connu. Et chacun est à soi-même mystère. « Qui me dira mon étendue, si lʼinfini de Dieu peut cheminer en moi », dit le mystique allemand du XVIIe siècle, Angelus Silesius. Même lʼenfant enfermé dans les terribles prophéties auto-réalisatrices de parents ou dʼéducateurs lui prédisant quʼil nʼarrivera jamais à rien, peut trouver « un lieu pour renaître » (Bettelheim) là où il rencontre des personnes qui lʼaiment, lui font confiance, espèrent en lui.

Dans lʼhistoire dʼun couple, lorsquʼon nʼaccepte plus cela, lorsquʼon dit : « Je te connais bien » au sens de « je sais ce que sera lʼavenir, je nʼattends de toi rien dʼautre que ce que je sais déjà », alors lʼespérance nʼexiste plus dʼun avenir commun. La séparation ou le divorce ferment lʼavenir, mettent un terme à lʼhistoire commune. Lʼindissolubilité signifie quʼon ne peut fermer lʼavenir : quelles que soient les vicissitudes traversées, il est toujours possible de renaître à la vie. On comprend quʼelle puisse, dans ces conditions, être vécue non pas comme une loi et une contrainte inhumaines, mais comme une espérance.

Je me souviens dʼune émission de télévision consacrée aux « justes » distingués pour lʼaide apportée aux juifs pendant la seconde guerre mondiale. Un homme très simple a témoigné : gendarme chargé dʼarrêter des juifs, il sʼarrangeait pour les faire prévenir afin quʼils ne soient pas à leur domicile lors de sa venue. Lʼanimateur lui a dit : « Ce que vous faisiez était dangereux. » Il a simplement repris le mot : « Oui, cʼétait dangereux. » Savait-il, avant la guerre, quʼil trouverait en lui, pour affronter les événements, les ressources dʼun tel courage tranquille ? Beaucoup de jeunes qui viennent rencontrer un prêtre pour préparer leur mariage, quand on leur demande sʼils ont bien réfléchi à lʼengagement quʼils veulent prendre, répondent : « Oui, cela fait longtemps que nous vivons ensemble, nous nous connaissons bien.  » Lorsque des jeunes me disent cela, je leur raconte lʼhistoire du gendarme (ou une autre, analogue) et je leur cite le mot de Jean Paulhan : « Les gens gagnent à être connus, ils y gagnent en mystère. » Je leur dis que, non, ils ne se connaissent pas encore, quʼils nʼont fait que les premiers pas dans la connaissance lʼun de lʼautre, quʼils ne savent pas quelles ressources de courage, de générosité et dʼamour révéleront les événements de leur existence commune. Et je leur souhaite dʼaller, tout au long de leur vie, de découverte en découverte, « de commencement en commencement, jusquʼaux commencements qui nʼont pas de fin », comme dit Grégoire de Nysse. Celui-ci parlait, il est vrai, de la connaissance de Dieu, mais, si lʼhomme est créé à lʼimage de Dieu, ne peut-on en dire autant de la connaissance de lʼautre ?

 

Notes

1. « Lʼindissolubilité du couple. Réflexions sur sa garantie et son fondement », Études, juillet 1977 et mai 2000, p. 695-704. Les textes entre guillemets, sans autre mention, sont des citations de cet article.